Quand au mouton bêlant la sombre boucherie Ouvre ses cavernes de mort, Pâtres, chiens et moutons, toute la bergerie Ne s'informe plus de son sort. Les enfants qui suivaient ses ébats dans la plaine, Les vierges aux belles couleurs Qui le baisaient en foule, et sur sa blanche laine Entrelaçaient rubans et fleurs, Sans plus penser à lui, le mangent s'il est tendre. Dans cet abîme enseveli J'ai le même destin.
Je m'y devais attendre. Accoutumons-nous à l'oubli. Oubliés comme moi dans cet affreux repaire, Mille autres moutons, comme moi, Pendus aux crocs sanglants du charnier populaire, Seront servis au peuple-roi. Que pouvaient mes amis?
Oui, de leur main chérie Un mot à travers ces barreaux Eût versé quelque baume en mon âme flétrie; De l'or peut-être à mes bourreaux... Mais tout est précipice.
Ils ont eu droit de vivre. Vivez, amis; vivez contents. En dépit de----soyez lents à me suivre. Peut-être en de plus heureux temps J'ai moi-même, à l'aspect des pleurs de l'infortune, Détourné mes regards distraits; A mon tour, aujourd'hui; mon malheur importune: Vivez, amis, vivez en paix.